Par Mareen Ledebur
Traduction : Darina Bondarenko
Photos : Volker Roloff
L’espace sombre, les murmures de la mer et les tintements des vagues. Au loin se dresse un phare, le vent souffle dans les cheveux. On ne remarque pas que l’on est dans la salle d’Uferstudios, dans un quartier de Berlin s’appelant Wedding. Sous les pieds c’est le sol dur et pas le sable. Pourtant il suffit de fermer les yeux et l’on est transporté en mer, sur la côte atlantique plus précisément.
C’est en utilisant l’installation de lumière et de bruit « «Higer » que le groupe Artitadeto a poursuivi justement ce but. Avec d’autres artistes ils ont plongé les Ufersudios dans le bleu profond. L’Océan Atlantique, élément significatif de tout peuple l’ayant tous les jours sous les yeux, a construit le fond thématique lors du « 2ème Festival des chorégraphes basques à Berlin-les basques avec la vue sur l’Océan ».
« Que savez vous en effet sur la terre basque ? », Elke Roloff m’observe d’un regard interrogateur. La question « Pourquoi le Festival des chorégraphes à Berlin ? » est répondue par une autre. Et elle a raison, car la plupart des gens associe généralement la terre des basques avec les trois T : terrorisme, tourisme et tradition. Plusieurs pensent aux fameux attentas de l’ETA, d’autres au chocolat noir amer de Bayonne ou encore au paradis pour les surfeurs avec les vagues qui abondent comme à Biarritz. A l’opposé, l’on sait à peine que les gens basques se saluent avec « Ongi etorri ».
Il y a encore beaucoup de choses qui sont cachées dans la région, dont les frontières s’étendent non seulement à l’Espagne du nord, mais aussi à la France du sud. Et il y a aussi l’art et la culture du 21èmesiècle qui s’épanouit dans toute leur diversité au cœur du pays dit « Euskal Herria ». Le Festival de trois jours à Berlin leur a présenté l’occasion de se dévoiler. La danse contemporaine, les performances de son et les improvisations s’alternaient avec des lectures de morceaux de la littérature moderne basque.
Elke Roloff est allemande et vis à Bayonne où elle dirige le collectif d’art «art and project ». Dès qu’elle est arrivée au Pays Basque, elle a tout de suite vu à quel point la langue et la culture locale y sont imprégnées que soit dans les écoles ou sur les panneaux dans les rues.
Avec « art and project » elle a cherché à créer un réseau d’artistes qui ont d’une manière ou d’une autre un rapport avec le pays basque. Elke Roloff réunit les créateurs de nationalité française, espagnole, italienne ou encore argentine dans son projet, même si ils ne font qu’habiter dans le Pays basque et qu’ils n’ont pas de rapport direct avec la culture basque dans leur travail. Son objectif est de soutenir les artistes régionaux contemporains et de favoriser les projets européens.
En retournant dans son pays natal, Elke Roloff voit souvent que la perception du Pays basque par les pays d'Europe change peu: « il est pourtant impossible, qu’à mon retour en Allemagne tout le monde me demande si il n’y a pas encore une fois de bombe qui est tombé sur la ville ! » C’est la faute de l’ETA, qui lutte depuis déjà 60 ans pour le Pays basque indépendant et qui est devenu connu surtout par ces attentats. Au mois d’octobre de l’année dernière le groupe a déclaré la fin définitive de ses activités armées.
C’est peut être justement le bon moment pour Elke Roloff de parler aux autres de la culture de son pays d’adoption plutôt que de rester focalisé sur les bombes.
Il y a aussi Mikel Arístegui, l’organisateur et l’inspirateur du festival, qui voudrait diffuser une autre vision du Pays basque sans les opinions politiques habituelles. La visite de différents spectacles de danse dans le Pays basque par le danseur et chorégraphe qui vit à Berlin l’a amené pour la première fois 2009 à organiser un festival à « Tacheles » de Berlin. « Les chorégraphes basques ont le même niveau que les européens, mais la plupart du temps ils ne sont pas invité aux festivals internationaux, y compris Berlin. Leur travail doit avoir plus de reconnaissance, mis à part la culture politique ».
Dans la forme du festival, Monsieur Arístegui, qui est né lui-même dans la partie espagnole de Pays basque, a vu une occasion parfaite d’attirer plus d’attention sur la culture basque contemporaine sur la scène européenne et en même temps de partager les différents détails de leur savoir-vivre avec le public. Et Berlin en tant qu’une ville multiculturelle est un endroit parfait du point de vue de Monsieur Arístegui pour modeler ainsi la scène européenne.
La viande de meilleure qualité
Un des chorégraphes basques sous le projecteur interculturel du festival du mois de décembre 2011 était Natxo Montero. Lui et la danseuse Patricia Fuentes ont créé dans son morceau « Carni di prima qualità » seuls à l’aide de leur corps une acoustique vibrante dans la salle 4 d’Uferstudio.
En se tapotant, en sautant l’un sur l’autre, en se balançant, se pinçant et courant l’un vers l’autre, les deux corps humains sont asexués chez Montero. « Elle » et « il » n’existent pas. C’est seulement deux corps, qui escaladent chacun à leur tour les épaules de l’autre, marchent sur le ventre de l’autre, se balancent l’un contre l’autre, et se roulent l’un envers l’autre, qui sont au cœur de leur chorégraphie, avec laquelle il a remporté la deuxième place en 2010 à « Certamen Coreográfico de Madrid ». La viande de la meilleure qualité c’est la matière avec laquelle Montero montre au spectateur toutes les capacités sonores et toute la force qui se cache dans le corps.
Mikel Arístegui, qui a déjà travaillé avec Sasha Walz, a présenté également son travail au festival. Son morceau « Batteleku Batean », hommage à l’histoire sur la pêche et au bateau de pêche traditionnel basque « Batteleku », a vu le jour en 2010 dans une action avec « art and project » et a été exposé pour la première fois dans la rue d’ Hendaye en France du sud. C'est à cette époque qu'il y a eu le début de la collaboration entre Mikel Arístegui et Elke Roloff et que l’idée d’organiser le deuxième festival de chorégraphes à Berlin est née en commun.
« En effet depuis des années je suis entourée d’artistes. Un jour je me suis rendue compte à quel point les artistes basques sont peu connus. Ils ont besoin d’être mis en lumière », ricane Elke Roloff. Elle porte toujours deux tresses chaque soirée de réunion à Uferstudio et chaque fois après avoir entendu « Bonjour » elle tourne la tête pour répondre avec des salutations.
Elle a pu réussir cette illumination en collaboration avec Mikel. Les deux organisateurs proposent en 2011 un aperçu de la culture basque aussi bien à des novices absolus, qu’aux institutions basques de l’Espagne, Instituto Etxepare, et de la France, Institut Culturel Basque, qui ont travaillé pour la première fois en 2011 sur le projet commun à l’extérieur de leurs pays.
La plus grande partie du pays au drapeau rouge-blanc-vert se trouve en Espagne et forme une des Communautés Autonomes du pays. En France le Pays basque s’étend des Pyrénées à l’extrême sud-est, partagée en trois régions historiques : Labourd, Soule et Basse-Navarre. Elle fait partie aujourd’hui de la région française Aquitaine. Les villes les plus connues de cette région sont Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye.
En tant que basque espagnol, Mikel voit une différence entre la culture atlantique de la France et de l’Espagne : « La culture et la musique sont un peu plus soutenues par le gouvernement français. Peut-être aussi à cause de la situation politique. La haine pour les basques est plus forte en Espagne. C’est mon ressentiment. Les basques ont plus de place en France. Peut-être qu’ils ne sont pas plus soutenus, mais moins opprimés. »
En tout il y a 80 000 de basques qui habitent en France. Pourtant il n’y a que le français qui est la langue officielle. La langue basque, Euskara, une des plus anciennes langues d’Europe, est reconnue par le gouvernement français en tant qu’une langue régionale, cependant juridiquement elle n’est pas protégée.
La fille parfumée au patchouli du Pays basque
Pourtant il existe aussi la littérature moderne basque dans le golfe de Biskaya. Itxora Borda, l’employée à la poste de Bayonne, fait partie des auteurs les plus importants, auxquels le gouvernement français n’empêche pas de travailler sur le développement de la langue basque. Dans ses poèmes, romans et articles, Itxora Borda fait de la critique sous la forme littéraire. Avec son regard satirique, souvent mordant, elle étudie dans son œuvre la société basque. En 2002 elle a reçu le Prix Euskadi pour sa caricature de la tradition basque dans le roman « % 100 basque ».
Itxora Borda écrit dans sa langue natale. Son premier poème a vu jour quand elle avait 14 ans. Dans ses romans policiers avec des lieux d’action tels que Hessen c’est Amaia Ezpeldoi qui donne son opinion souvent sarcastique sur les sujets d’actualité basque.
L’auteur du Pays basque maîtrise aussi la langue allemande. Malheureusement lors du 2ème festival de chorégraphes elle n’a pas pu en faire preuve. Ce sont Eneko Gil et Constanze Lindermann qui ont lu à sa place la traduction de sa série des poèmes « Ogella Line » aux titres tels que « A ta recherche » ou encore « La fille parfumée au patchouli ».
« J’ai dû apprendre dans ce paysage, qui est le tien, à marcher toute seule à travers les rochers », écrit Itxora Borda. En basque on utilise le mot « Ogellas » pour définir des petites baies qui s’étendent le long de la côte espagnole et française. Itxora Borda a parcouru cette ligne après la fin d’une histoire d’amour. Les poèmes sont une sorte d’hommage.
Pour la première fois en 2008 ils étaient présentés en tant que performance improvisée. Pour le Festival des chorégraphes à Berlin, on a improvisé avec du son et la performance d’un français Laurent Etchemendi ainsi que la danseuse Noemí Viana sur les lignes de poème tels que « Les nuits chaque mer est noir comme chaque chat ».
Noemí Viana plana à travers les spectateurs, écouta attentivement elle-même ceux qui liaient et laissa voler des lambeaux de papier déchirés avec les poèmes de Madame Bordas dans la salle. Viana tourbillonna comme des mots, erra le long des baies, restant dans la solitude oppressante, se libéra de son manteau étroit et disparut en laissant juste des mots de ceux qui lisent dévorés dans le noir.
Edorta Jiménez a lu son livre et son roman historique « La voix des baleines ». L’homme de lettre né à Bizkaia en Espagne a déjà publié des histoires pour enfants, des romans, des poèmes et des reportages. On a improvisé également sur son œuvre sur l’époque de l’Armada espagnol et du Pays basque du 16ème siècle, qu’il définit lui-même comme un thriller, avec un regard contemporain. Une chorégraphe et biologiste Idoia Zabaleta découpa le revêtement du sol, rampa au-dessous et dansa avec sa deuxième peau du corps pendant que Jiménez racontait l’histoire de Sebastien et sa première capture de baleine. Zabaleta imita les douleurs de la petite baleine, qui essayait de s’enfuir, qui essayait de se protéger contre les pointes aigues. « Il y a déjà beaucoup de choses qui se sont passé avec mon livre. Mais encore jamais quelque chose comme aujourd’hui », s’étonnait Jiménez lui-même après la performance improvisée.
Ce sont de tels moments inattendus que les organisateurs souhaitent retrouver pour le festival à venir. Il est prévu dans deux ans. Et comme écrit Itxaro Borda dans ses poèmes – « après des longues heures de randonnée je suis peut-être plus réelle » - la culture contemporaine basque a elle aussi l’opportunité d’apporter plus de réalité et d’actualité à l’expérience européenne.